Génération Z en 2025 : les révoltes du Népal, de Madagascar et du Maroc
- Pierre Mob MOBENGO
- 18 oct.
- 17 min de lecture

Népal 2025 : un soulèvement anti-censure qui force la réforme
Des manifestants népalais, majoritairement des jeunes, affrontent la police antiémeute à Katmandou début septembre 2025, protestant contre le blocage des réseaux sociaux et la corruption[1][2]. Au Népal, la colère de la Génération Z a éclaté début septembre 2025 lorsque le gouvernement a bloqué 26 plateformes sociales (Facebook, Instagram, YouTube, WhatsApp, X, etc.) qui refusaient de se conformer à de nouvelles règles de régulation[3][2]. Officiellement décidée pour combattre la « haine en ligne » et les fake news, cette censure a été perçue comme autoritaire et a servi d’étincelle à un mouvement plus large. Des dizaines de milliers de jeunes – souvent lycéens en uniforme – sont descendus dans la rue non seulement pour défendre la liberté d’expression en ligne, mais aussi pour dénoncer la corruption endémique, le népotisme et l’inefficacité économique du régime d’KP Sharma Oli[1][4]. Malgré la coupure de Facebook et consorts, les activistes ont contourné les restrictions : TikTok, qui avait accepté de se plier aux exigences gouvernementales et n’avait pas été bloqué, est devenu un outil clé de mobilisation, diffusant des vidéos virales opposant le train de vie luxueux des élites à la précarité des jeunes Nepalis[5]. D’autres plateformes et messageries alternatives (Discord, Viber, VPN…) ont également permis une coordination décentralisée du mouvement[6].
La contestation, rapidement baptisée « protestation Gen Z » par les médias locaux, s’est étendue de Katmandou aux villes de province. Elle a culminé le 8 septembre 2025, lorsque des manifestants ont tenté de marcher sur le Parlement pour se faire entendre[1][7]. La situation a alors dégénéré : la police antiémeute a employé les grands moyens (canons à eau, gaz lacrymogènes, balles en caoutchouc, et même tirs à balles réelles) pour disperser la foule[8][9]. Le bilan a été lourd : au moins 19 morts (surtout à Katmandou) et plus de 200 blessés graves ont été recensés en une seule journée[10]. Ces violences policières ont indigné le pays et suscité des condamnations internationales, l’ONU réclamant une enquête transparente sur cette répression sanglante[11]. Face à l’embrasement, le gouvernement a dû céder : dès le soir même, le ministre de l’Intérieur a démissionné pour assumer la responsabilité des bavures[11]. Le lendemain, le premier ministre K.P. Sharma Oli a annoncé sa démission en évoquant la « situation défavorable » et la nécessité de résoudre la crise par le dialogue[12]. Dans la foulée, le blocage des réseaux sociaux a été levé en urgence, rétablissant l’accès à toutes les applications interdites[13][12]. Un gouvernement intérimaire a été mis en place pour apaiser les tensions[14]. En l’espace de cinq jours, la Génération Z népalaise a donc obtenu une victoire éclatante, forçant des changements au sommet de l’État et le recul d’une mesure liberticide. Reste à savoir si ces concessions déboucheront sur de véritables réformes anti-corruption à long terme – un point sur lequel les jeunes manifestants entendent maintenir la pression.
Madagascar 2025 : la contestation sociale récupérée ou accompagnée par l’armée ?
À Antananarivo, des soldats malgaches de l’unité d’élite CAPSAT escortent les manifestants de la Génération Z vers la Place du 13 Mai le 11 octobre 2025. L’armée a finalement soutenu la rue, précipitant la chute du régime[15][16]. À Madagascar, la Génération Z est à l’origine d’un mouvement inédit qui a abouti à un renversement de pouvoir. Les protestations ont débuté le 25 septembre 2025, catalysées par l’exaspération face aux coupures d’électricité et d’eau à répétition qui paralysent le quotidien sur la grande île[17][18]. Ces griefs initiaux ont rapidement fait boule de neige en une contestation générale contre la mauvaise gouvernance, la corruption chronique et l’effondrement des services de base[18]. Il faut dire que Madagascar est l’un des pays les plus pauvres du monde malgré ses richesses naturelles, et plus de la moitié de sa population a moins de 20 ans : un terreau fertile pour la colère de la jeunesse contre un régime perçu comme kleptocratique[19][20]. Sous la bannière informelle « Gen Z Madagascar », des foules de jeunes urbains et ruraux se sont rassemblées dans la capitale Antananarivo et d’autres villes, coordonnées via les réseaux sociaux. Le mouvement se voulait sans leader officiel, s’inspirant directement des autres soulèvements de la Gen Z contre la corruption en Asie et en Afrique[21]. Durant les premiers jours, les forces de l’ordre ont tenté de contenir les manifestants, leur barrant notamment l’accès à la symbolique Place du 13 Mai (lieu des révoltes historiques depuis les années 1970)[17]. Quelques concessions superficielles ont été tentées par le pouvoir en place – le président Andry Rajoelina est même allé jusqu’à dissoudre son gouvernement et nommer un général de l’armée Premier ministre pour tenter de calmer la rue[22] – mais sans résultat tangible.
La tournant décisif est survenu mi-octobre lorsque l’armée, sentant le vent tourner, a basculé du côté des protestataires. Le 11 octobre, l’unité d’élite CAPSAT (corps militaire crucial déjà impliqué dans le coup d’État de 2009) a annoncé refuser de réprimer la jeunesse et a rejoint la mobilisation[15][23]. Des soldats ont accompagné des milliers de manifestants jusqu’au cœur de la capitale, galvanisant la foule. Privé de son soutien militaire, le président Rajoelina a pris la fuite le 12 octobre, s’exfiltrant discrètement vers l’étranger à bord d’un avion militaire français[15][24]. Il a justifié sa désertion par la nécessité de « protéger [sa] vie », tout en refusant officiellement de démissionner dans un premier temps[25]. Le vide du pouvoir a été immédiatement comblé par les militaires : dès le 13 octobre, le commandant de la CAPSAT, le colonel Michel Randrianirina, s’est autoproclamé président de transition pour une durée annoncée de 18 à 24 mois[15]. Dans le même temps, d’autres branches des forces de sécurité, comme une faction de la gendarmerie, ont également rallié le soulèvement et évincé des figures du régime encore en place (y compris le président du Sénat)[23][26]. La population malgache, en particulier les jeunes manifestants de Gen Z, a accueilli avec jubilation la chute de Rajoelina après 16 années de domination de la scène politique par ce dernier[16]. « Gen Z nous a offert la victoire ! » clament certains protestataires, fiers d’avoir fait plier un président jugé autocratique et déconnecté[27]. Cependant, l’euphorie s’accompagne d’une inquiétude latente : en privant les politiciens traditionnels de pouvoir, la rue a ouvert la porte à un régime militaire. Beaucoup de "démocrates" redoutent désormais que l’armée confisque durablement la transition et marginalise les jeunes révolutionnaires dans le processus politique[16]. De fait, si l’insurrection de la Gen Z a réussi à écarter un président impopulaire, son aboutissement est un « coup d’opportunité » militaire.
Le bilan humain de cette révolte malgache est également lourd. D’après les Nations unies, au moins 22 personnes ont perdu la vie dans les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre depuis le début du mouvement fin septembre[28]. Le gouvernement malgache sortant a minimisé ces chiffres, niant toute répression meurtrière, mais des ONG locales font état de dizaines de blessés par balles et de victimes passées sous silence. Désormais aux commandes, les militaires promettent des élections dans les deux ans à venir. La crédibilité de cette promesse reste à prouver : la Génération Z malgache – qui rêvait de renouvellement démocratique – devra lutter pour ne pas être écartée du processus de refondation du pays.
Maroc 2025 : la colère sociale
À Rabat, un manifestant brandit une pancarte « Gen Z won’t be silent » (« La Génération Z ne se taira pas »). Ce slogan, apparu au Népal, a été repris par les jeunes Marocains, qui coordonnent leurs protestations via la plateforme Discord GenZ 212[29][30]. Au Maroc, royaume pourtant réputé stable, la fin septembre 2025 a vu surgir un mouvement de protestation inédit par son ampleur et sa distribution géographique. Depuis le 27 septembre, des foules de jeunes manifestants descendent presque chaque nuit dans les rues de Casablanca, Rabat, Tanger, Marrakech, Oujda, Agadir et bien d’autres villes, ainsi que dans certaines zones rurales[31][32]. Leur mot d’ordre : exiger la dignité et des réformes socio-économiques profondes dans un pays miné par le chômage des jeunes, les inégalités régionales et la corruption. Le mouvement – qui s’est baptisé GenZ 212 en référence à l’indicatif téléphonique du Maroc[33][34] – est parti d’un fait divers tragique : la presse a révélé la mort de huit femmes enceintes dans un hôpital public d’Agadir, faute de soins post-césarienne adéquats, un drame vécu comme le symbole insupportable d’un système de santé à l’abandon[35]. Ce scandale sanitaire a mis le feu aux poudres, faisant écho aux critiques virulentes contre l’État qui dépense des milliards pour construire des stades de la Coupe du monde 2030 (que le Maroc co-organisera) tandis que les hôpitements manquent de tout[36][37]. Comme le résume un slogan scandé par les protestataires : « On veut des hôpitaux, pas des stades ! »[38]. Les jeunes de GenZ 212 réclament aussi la fin de la corruption des élites et une amélioration concrète des services publics essentiels (écoles, universités, réseaux d’eau, etc.)[39][40]. Sur le plan politique, le Premier ministre Aziz Akhannouch – richissime homme d’affaires à la tête du gouvernement – est directement visé : de nombreux manifestants exigent sa démission pure et simple, le tenant pour responsable de l’inaction face aux injustices sociales[41][42].
Le mouvement marocain se distingue par son organisation horizontale et numérique. Dépourvu de leader identifié, il s’appuie principalement sur les réseaux sociaux et les messageries modernes : Discord, TikTok, Instagram font office de quartiers généraux virtuels[33][30]. Le canal GenZ 212 sur Discord compte plus de 200 000 membres quelques semaines après sa création, où chaque décision majeure est discutée puis soumise au vote collectif des participants en ligne[30][43]. Cette approche décentralisée complique la tâche des autorités, habituées à cibler les meneurs pour étouffer la contestation. Qu’à cela ne tienne, la réaction de l’État a été implacable. Le pouvoir marocain, incarné par le roi Mohammed VI (qui demeure l’ultime détenteur de l’autorité dans la monarchie constitutionnelle), a toléré très peu de dissentiment dans la rue. Les premières manifestations, pourtant pacifiques, ont été accueillies par un déploiement musclé des forces de sécurité : dès le 28-30 septembre, des vidéos montrent des policiers en tenue ou en civil chargeant des rassemblements, allant jusqu’à foncer en véhicules dans des groupes de jeunes assis pacifiquement[44][45]. On relève également des scènes d’interpellations brutales de passants et même d’arrestations de manifestants en plein interview avec des journalistes[46]. Au fil des jours, alors que quelques incidents de vandalisme nocturne et d’affrontements isolés éclatent en riposte, les autorités intensifient la répression : usage massif de gaz lacrymogènes, balles en caoutchouc et même de balles réelles dans certains heurts, notamment à Agadir où des tirs policiers ont fait plusieurs victimes le 1er octobre[47][48]. Au moins trois manifestants ont été tués par les forces de l’ordre dans la première semaine du mouvement, dont un jeune vidéaste de 24 ans touché d’une balle à la tête alors qu’il filmait une scène d’émeute[47][48]. Plus de 500 arrestations ont eu lieu en moins de dix jours, y compris des mineurs, et les tribunaux marocains ont rapidement prononcé des peines de prison ferme contre nombre de protestataires, dans certains cas jusqu’à 10 ans de détention pour des chefs d’accusation tels que « participation à une manifestation illégale » ou « incitation à des crimes en ligne »[49][50]. Des voix critiques, d’Amnesty International à la Fédération internationale des droits humains, dénoncent une volonté manifeste de criminaliser la contestation pacifique et de dissuader durablement la jeunesse de descendre dans la rue[51][52].
Conscient du risque politique, le palais royal a également adopté une stratégie d’apaisement sur le fond. Le 10 octobre 2025, le roi Mohammed VI a prononcé un discours très attendu devant le Parlement, dans lequel il a reconnu l’ampleur des problèmes sociaux. Le monarque a appelé à « accélérer les réformes » pour améliorer l’éducation, la santé et l’emploi des jeunes, et a assuré avoir « entendu l’appel de la jeunesse »[53][54]. Toutefois, ce discours est resté vague et n’a fait aucune allusion explicite aux manifestations ni aux revendications précises de GenZ 212 (telles que la libération des détenus ou la lutte anticorruption)[55][56]. Beaucoup de manifestants se sont dits déçus par cette réponse jugée trop tiède et déconnectée[57]. Dans les jours qui ont suivi, le gouvernement a bien promis d’ouvrir un dialogue et de « mobiliser des ressources pour combler les déficits » dans les secteurs en crise[58], mais en parallèle, la poigne sécuritaire ne s’est pas relâchée. Des artistes et influenceurs ayant soutenu la mouvance, tel le rappeur Hamza El Fadly (alias Hamza Raid), ont été arrêtés et inculpés pour avoir prétendument alimenté la contestation en ligne – Hamza risque ainsi plusieurs années de prison pour son clip viral Kifa7i (« Mon Combat ») qui dénonce les injustices sociales[59]. Au final, la trajectoire marocaine s’oriente vers un durcissement : le pouvoir maintient le cap autoritaire tout en concédant un discours réformiste modéré, sans changements structurels immédiats. La Génération Z marocaine, quant à elle, ne désarme pas complètement : malgré la peur, des appels à de nouvelles manifestations ou sit-in continuent d’émerger sur Discord, témoignant d’une détermination farouche d’arracher de vraies réformes dans les mois à venir – ou du moins de ne pas laisser la flamme s’éteindre.
Trois trajectoires contrastées : réforme, répression, coup d’État
En l’espace de quelques semaines, ces trois soulèvements de la Génération Z ont suivi des destins très différents. Au Népal, la pression populaire a débouché sur une réponse plutôt conciliante du système politique : le départ du Premier ministre et l’abandon d’une loi liberticide ont constitué une forme de réforme par le haut, accordant aux protestataires une victoire immédiate[12][60]. À l’inverse, au Maroc, l’establishment en place n’a cédé aucun poste de pouvoir : en privilégiant la répression policière et judiciaire, il a réussi (pour l’instant) à mater la contestation, au prix d’arrestations massives et de plusieurs morts[61][49]. Quant à Madagascar, son scénario est intermédiaire et paradoxal : la Gen Z y a obtenu l’éviction du président autoritaire, mais cette victoire a été confisquée par l’armée dans un coup d’État opportuniste, instaurant un régime transitoire militaire plutôt qu’une ouverture démocratique immédiate[15][16]. Les dynamiques d’acteurs ont donc divergé : au Népal, une partie du gouvernement et du parlement a fini par écouter la rue (démissions, promesses de dialogue) ; au Maroc, le palais royal et le gouvernement ont fait bloc pour s’imposer par la force ; à Madagascar, l’institution militaire a joué le rôle d’arbitre en profitant du soulèvement pour accroître son pouvoir.
Malgré ces différences, des points communs frappants se dégagent. Dans les trois cas, les mouvements ont été menés par des jeunes ultra-connectés, coordonnés via les réseaux sociaux (avec un rôle notable de Discord, TikTok, Facebook, etc.) et dépourvus de leader unique[6][33]. Ces caractéristiques ont surpris les autorités traditionnelles et rendu plus difficile la gestion de la crise par les moyens habituels de cooptation ou de négociation individuelle. Par ailleurs, les facteurs socio-économiques sous-jacents sont similaires : partout, la Génération Z dénonce la corruption des élites, le chômage de masse, la cherté de la vie, l’inégalité d’accès aux services essentiels et l’absence de perspectives[62][37]. Ces frustrations profondes ont servi de terreau commun, bien que chaque pays ait eu son déclencheur spécifique (censure d’Internet au Népal, délestages à Madagascar, hôpital en faillite au Maroc). Enfin, chaque mouvement s’inscrit dans une vague d’émulation transnationale : les jeunes protestataires se sont inspirés les uns des autres. Le succès initial des Népalais a encouragé les Malgaches[18][63], tandis que les Marocains ont scandé des slogans venus d’Asie (« Gen Z won’t be silent ») et suivi de près les événements à Katmandou et Antananarivo sur les réseaux globaux. Cette dimension internationale rappelle l’effet domino du printemps arabe, bien qu’à ce stade les régimes en place aient eu des réactions variées – et des issues moins uniformes qu’en 2011.
Cinq leçons stratégiques pour gouvernements, entreprises et universités
Ne sous-estimez jamais la jeunesse connectée. Les gouvernants et dirigeants d’institution doivent prendre au sérieux la colère des moins de 30 ans à l’ère numérique. Une génération élevée avec Internet peut se mobiliser en quelques jours à l’échelle d’un pays, galvanisée par des vidéos virales et des hashtags. Les cas récents montrent qu’elle peut faire tomber des ministres ou même des présidents en un temps record dès lors que ses griefs sont ignorés[12][64]. Pour les entreprises aussi, notamment les géants du numérique, c’est un signal : les choix de plateformes (censure ou coopération avec les autorités, comme TikTok au Népal) peuvent involontairement catalyser des mouvements de masse[5]. Il est crucial d’anticiper ce potentiel de mobilisation éclair, en surveillant les tendances de revendications sur les réseaux et en dialoguant avec les communautés en amont.
Les restrictions d’Internet peuvent provoquer l’effet inverse. Du point de vue des gouvernements, la tentation est grande d’étrangler la communication en ligne pour prévenir la contestation. Or, l’exemple népalais l’a prouvé de façon spectaculaire : bloquer Facebook, YouTube ou WhatsApp en 2025 revient à priver une jeunesse hyperconnectée de son mode de vie, ce qui radicalise instantanément des milliers de jeunes jusque-là apolitiques[65][5]. Une telle mesure apparaît comme une attaque directe contre la liberté et l’avenir de la génération montante, avec un effet boomerang assuré. Leçon pour les gouvernants : mieux vaut utiliser les réseaux sociaux comme canaux d’écoute (pour sonder le pouls de la jeunesse et communiquer de manière transparente) que comme cibles à abattre. Les entreprises du secteur tech, de leur côté, doivent se préparer à gérer ces contextes explosifs : coopérer avec une exigence de censure peut sauver leur accès à un marché, mais entame leur image auprès du public ; résister expose à des blocages immédiats. Dans les deux cas, la gestion de la communication de crise en ligne devient déterminante.
S’attaquer aux causes profondes avant l’embrasement. Corruption endémique, services publics défaillants, inégalités criantes et chômage de masse : ce sont des facteurs communs aux trois pays qui ont alimenté la rage de la Gen Z[62][37]. Les gouvernements et acteurs économiques doivent prendre la mesure de ces frustrations structurelles. Investir dans l’éducation, la santé, l’emploi des jeunes et la lutte contre la corruption n’est pas qu’une affaire de bien-être social : c’est une stratégie de stabilité à moyen terme. En négligeant trop longtemps ces secteurs (par exemple en favorisant des projets de prestige ou en tolérant le détournement de fonds publics), les dirigeants creusent leur propre tombe politique à l’ère des réseaux – où chaque scandale local peut devenir viral et national en 24 heures. Les entreprises peuvent jouer un rôle, par la responsabilité sociale et la création d’emplois décents pour les jeunes diplômés, afin de réduire le sentiment d’injustice. Les universités, de leur côté, ont la responsabilité de former des citoyens critiques et conscients de ces enjeux, mais aussi de fournir aux décideurs des analyses indépendantes sur l’ampleur des problèmes (enquêtes sur la pauvreté, études sur l’efficacité des politiques publiques…) avant que la rue ne le fasse entendre à leur place.
Adapter les modes de dialogue à une mobilisation sans leader. Une caractéristique clé des mouvements Gen Z est leur organisation en réseau, sans tête d’affiche facilement identifiable[30][43]. Cela implique que les canaux traditionnels de négociation (rencontrer les chefs de partis d’opposition, convoquer les syndicats étudiants, etc.) risquent de manquer leur cible. Les gouvernements et les universités doivent innover pour dialoguer avec une foule diffuse : utilisation des plateformes numériques pour communiquer directement avec les jeunes citoyens, création de forums participatifs, implication d’influenceurs ou de porte-parole ad hoc issus du mouvement. L’absence de leader veut aussi dire qu’une répression centrée sur l’arrestation de quelques figures visibles ne suffit pas à éteindre la flamme – elle peut même l’attiser, la base du mouvement se sentant collectivement visée. Les autorités gagneraient à reconnaître la légitimité des revendications exprimées collectivement (par pétitions en ligne, sondages, votes sur Discord, etc.) et à y répondre par des mesures concrètes, plutôt que de chercher à “décapiter” un mouvement protéiforme.
Éviter le vide de pouvoir et l’ingérence d’acteurs non démocratiques. Enfin, l’exemple malgache illustre qu’un pouvoir vacillant face à une révolte populaire peut voir surgir des “sauveurs” militaires qui profitent du chaos pour s’emparer du volant[15][23]. Il s’agit d’une leçon stratégique pour les gouvernements légitimes : en cas de contestation massive, il est préférable de garder l’initiative des réformes et de proposer une sortie de crise inclusive (par exemple via un gouvernement d’union nationale, des élections anticipées supervisées internationalement, etc.) plutôt que de s’entêter dans le déni jusqu’à l’effondrement des institutions. Car un effondrement profite rarement aux manifestants démocrates ; il ouvre souvent la voie aux éléments les plus organisés – armée, milices, factions extrémistes – pour combler le vide. Les universités et think tanks pourraient ici conseiller et scénariser des plans de transition pacifique, pour éviter que la “solution” ne vienne d’un coup de force opportuniste. Les entreprises, quant à elles, ont intérêt à la stabilité institutionnelle : un coup d’État ou une loi martiale crée un climat d’incertitude économique néfaste aux affaires. Soutenir discrètement (ou publiquement) des solutions négociées respectant l’état de droit, et encourager la médiation internationale le cas échéant, fait partie des leçons qu’ont pu retenir les milieux d’affaires face à ces événements.
Trois indicateurs à suivre d’ici 12 mois
Pour mesurer l’évolution de ces situations et le risque de nouvelles vagues de protestation de la Génération Z, voici trois indicateurs-clés à surveiller dans l’année à venir :
Le suivi des réformes et de la gouvernance au Népal. Observer si le gouvernement népalais tient compte des revendications de 2025 : adoption de lois anti-corruption renforcées, révision des projets de loi liberticides sur les médias, ou mise en place d’organes indépendants de contrôle. Un indicateur concret sera l’évolution du classement du Népal dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International en 2026 (en 2024, il occupait le 110^e rang) : une amélioration signalerait que le message de la Gen Z a été partiellement entendu, tandis qu’un statu quo augurerait d’une persistance du malaise[66][20]. De même, le respect des droits numériques (pas de nouveau blocage intempestif de plateformes) sera un baromètre de la volonté des autorités de rompre avec les pratiques autoritaires qui ont mis le feu aux poudres.
La trajectoire de la transition politique à Madagascar. Il faudra surveiller si le régime militaire malgache respecte sa promesse d’organiser des élections démocratiques sous 18–24 mois. Un signal positif serait l’annonce d’un calendrier électoral crédible d’ici fin 2026 (par exemple, une élection présidentielle fixée et préparée en concertation avec l’opposition civile et la communauté internationale). À l’inverse, tout retard injustifié ou manœuvre pour prolonger la transition militaire au-delà du délai annoncé indiquerait une confiscation du pouvoir – ce qui pourrait raviver les manifestations étudiantes et la contestation de la jeunesse. Un autre indicateur sera le degré d’inclusion des jeunes et de la société civile dans le processus : par exemple, la présence (ou l’absence) de représentants de la mouvance Gen Z dans les consultations nationales ou les organes de réforme institutionnelle mis en place par le régime transitoire.
Les progrès socio-économiques et libertés publiques au Maroc. Du côté marocain, l’apaisement durable dépendra de réponses tangibles aux doléances de la Gen Z. On scrutera la loi de finances 2026 : quelle part du budget l’État allouera-t-il aux secteurs sociaux (éducation, santé, emploi jeunes) par rapport aux dépenses d’infrastructures grandioses ? Une hausse significative des investissements dans les hôpitaux et les écoles, ainsi que le lancement de programmes d’embauche des jeunes diplômés, seraient le signe que le gouvernement a intégré la nécessité de rééquilibrer ses priorités[67][39]. En parallèle, l’évolution du nombre de détenus et de poursuites judiciaires liées aux manifestations de 2025 sera à suivre : une amnistie ou des relaxes pour les centaines de jeunes encore incarcérés indiquerait une volonté d’apaisement, tandis que le maintien de sanctions lourdes (voire de nouvelles arrestations si des protestations reprennent) trahirait un choix assumé de la ligne dure. Enfin, l’espace des libertés publiques (droits de réunion, de la presse, d’expression en ligne) au Maroc dans les prochains mois servira de thermomètre : un rétrécissement supplémentaire signalerait un durcissement persistant, potentiellement porteur de tensions, alors qu’une ouverture (autorisation de manifestations encadrées, tolérance envers la critique, etc.) pourrait prévenir une résurgence de la colère de la Génération Z dans la rue.
Sources : The Guardian, 8 sept. 2025 – At least 19 killed in ‘gen Z’ protests against Nepal’s social media ban[68][8]; Reuters, 9 sept. 2025 – A look at Nepal’s anti-corruption protests that prompted PM’s resignation[13][12]; The Guardian, 17 oct. 2025 – ‘Gen Z gave us the victory’: how young protesters toppled Madagascar’s leader[15][16]; Reuters, 13 oct. 2025 – Madagascar’s president has left the country after Gen Z protests, officials say[18][23]; Amnesty International, 3 oct. 2025 – Morocco: Halt use of excessive force following crackdown on youth protests[69][33]; The Guardian, 14 oct. 2025 – ‘This generation is defiant’: Gen Z protests set to resume in Morocco despite deaths and arrests[53][49]; Arab News/AFP, 11 oct. 2025 – Morocco king calls for social reforms amid youth-led protests[35][39]; The Soufan Center IntelBrief, 13 oct. 2025 – Generation Z Protests Sweeping the Globe, Motivated by Rising Inequality[62][37].
[1] [3] [5] [8] [10] [11] [65] [68] At least 19 killed in ‘gen Z’ protests against Nepal’s social media ban | Nepal | The Guardian
[2] [4] [6] [9] [14] [22] [37] [38] [62] Generation Z Protests Sweeping the Globe, Motivated by Rising Inequality - The Soufan Center
[7] [12] [13] [60] A look at Nepal's anti-corruption protests that prompted PM's resignation | Reuters
[15] [16] [17] [19] [20] [21] [27] [66] ‘Gen Z gave us the victory’: how young protesters toppled Madagascar’s leader | Madagascar | The Guardian
[18] [23] [24] [25] [26] [28] [63] [64] Madagascar's president has left the country after Gen Z protests, officials say | Reuters
[29] [30] [34] [36] [47] [48] [49] [50] [51] [53] [55] [59] [61] ‘This generation is defiant’: Gen Z protests set to resume in Morocco despite deaths and arrests | Morocco | The Guardian
[31] [33] [44] [45] [46] [52] [69] Morocco: Halt use of excessive force following crackdown on youth protests - Amnesty International




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