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Idéologies globales et souverainetés africaines : entre influence et émancipation

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Idéologies globales et souverainetés africaines : entre influence et émancipation

 

Introduction

 

Dans l’histoire contemporaine, les grandes puissances ont déployé des dispositifs idéologiques élaborés pour renforcer leur cohésion interne et projeter leur influence à l’étranger. Qu’il s’agisse de la campagne d’éducation patriotique en Chine, de la notion de Russkiy Mir en Russie, ou du mythe du Rêve américain aux États-Unis, ces idéologies servent à légitimer des politiques, à forger une identité nationale, et parfois à justifier des ingérences. En parallèle, des pays africains comme le Ghana et le Rwanda ont développé leurs propres doctrines – du panafricanisme hérité de Kwame Nkrumah à la philosophie d’Ubuntu (« je suis parce que nous sommes ») en passant par des visions nationales telles que Vision 2020 – pour consolider leur unité, guider leur développement et affirmer leur souveraineté.

Cet article propose une analyse de chacun de ces dispositifs idéologiques. Pour chaque puissance (Chine, Russie, France, États-Unis), nous illustrerons par un cas historique marquant et un cas récent (post-2010) comment l’idéologie a été mise en œuvre, quels objectifs officiels elle poursuit et quels impacts observables elle a eus (sur la souveraineté nationale, l’unité du pays, le développement économique). Nous effectuerons ensuite le même exercice pour le Ghana et le Rwanda, exemples de pays africains ayant articulé une idéologie nationale ou panafricaine pour se forger une identité post-coloniale et un modèle de développement endogène. Enfin, nous intégrerons les notions émergentes de panafricanisme 2.0 et d’Ubuntu pour montrer comment un enseignement idéologique commun ancré dans ces valeurs pourrait renforcer la souveraineté africaine, favoriser l’intégration régionale et soutenir un développement autocentré sur les ressources et les valeurs du continent.

 

Chine – La « campagne d’éducation patriotique » : histoire, objectifs et résultats

 

Contexte idéologique : Depuis les années 1990, la République populaire de Chine conduit un vaste programme d’endoctrinement nationaliste connu sous le nom de campagne d’éducation patriotique. Lancée à la suite des événements de Tiananmen en 1989, cette campagne vise à restaurer la légitimité du Parti communiste chinois (PCC) en réorientant la ferveur populaire vers le patriotisme et en associant étroitement amour de la patrie et loyauté envers le Parti. Initiée en 1991 et intensifiée en 1994 avec la publication d’un « Outline on Patriotic Education », elle a pour ambition de « remonter le moral de la nation, renforcer la cohésion et nourrir l’estime de soi et la fierté nationales ». Concrètement, il s’agit de promouvoir dans le système éducatif et les médias une certaine lecture de l’histoire – insistant sur les humiliations infligées par les puissances étrangères, le rôle du PCC dans la libération et la modernisation de la Chine, et la grandeur de la culture chinoise – de façon à « construire une mémoire historique » collective justifiant le leadership du Parti. Comme l’a résumé le professeur Suisheng Zhao, l’objectif est de faire du PCC le « gardien suprême du patriotisme et de la fierté nationale ».


Cas historique marquant : Dans les années qui ont suivi Tiananmen, le président Jiang Zemin a orchestré la montée en puissance de cette éducation patriotique pour ressouder la nation autour du Parti. Un exemple emblématique est l’introduction systématique, à partir de 1994-1995, de manuels, films et chants patriotiques dans toutes les écoles du pays. Des « bases d’éducation patriotique » ont été créées, tels des musées ou mémoriaux glorifiant la révolution communiste, où l’on amène en visite les élèves et étudiants. Il s’agissait de réécrire les manuels d’histoire pour insister sur les agressions étrangères (guerres de l’opium, invasion japonaise, etc.) et sur le rôle du Parti dans le relèvement de la Chine. Par exemple, le récit du massacre de Nankin (1937) ou de la « décennie d’humiliations » est intégré dans les programmes scolaires de façon à présenter le PCC comme le sauveur de la nation, tandis que la prospérité actuelle est attribuée à la « voie socialiste à la chinoise ». Cette première phase de la campagne a atteint son apogée dans les années 2000, avec une population chinoise très sensibilisée à la défense de l’intégrité territoriale (Taiwan, Tibet, mer de Chine) et fière des succès économiques. Un indicateur de cet impact est la forte montée du sentiment nationaliste dans l’opinion chinoise au tournant du siècle : les manifestations anti-américaines en 1999 après le bombardement de l’ambassade de Chine à Belgrade, ou anti-japonaises en 2005, ont montré une jeunesse galvanisée par le patriotisme inculqué à l’école.


Évolution récente (depuis 2010) : Sous la présidence de Xi Jinping, le PCC a encore renforcé l’appareil idéologique. En 2019, le Comité central a promulgué un « Outline for the Implementation of Patriotic Education in the New Era », posant les bases d’une intensification de l’endoctrinement patriotique à l’ère de Xi. Puis, en octobre 2023, l’Assemblée nationale populaire a adopté la Loi sur l’éducation patriotique, inscrivant dans le marbre les directives du Parti en la matière. Cette loi consacre le principe que la « patriotisme » doit imprégner tous les secteurs de la société, et pas seulement les jeunes : « les mesures d’éducation patriotique doivent être fusionnées dans la vie quotidienne de tous les citoyens », selon son article 5. Le contenu mis en avant laisse peu de doute sur les intentions : la loyauté absolue envers le Parti communiste y est présentée comme l’essence même du patriotisme. Les trois premiers chapitres de la loi sont consacrés à la glorification de l’idéologie communiste (de Marx à Xi Jinping) et de l’histoire du Parti, avant d’évoquer seulement en quatrième lieu la culture traditionnelle chinoise. L’équation est clairement posée : « aimer la patrie, c’est aimer le Parti et le socialisme », avec Xi Jinping et ses prédécesseurs érigés en continuateurs du marxisme-léninisme adapté à la Chine. De fait, l’idéologie de Xi Jinping (le « Socialisme à la chinoise pour la nouvelle ère ») est désormais enseignée à tous les niveaux scolaires et universitaires, et même incorporée dans les manuels du primaire en 2021. Ce durcissement idéologique récent vise notamment la jeunesse urbaine, exposée aux influences étrangères via Internet, et les minorités ou régions autonomes (Tibet, Xinjiang, Hong Kong) où le Parti a perçu des risques de contestation. Un exemple frappant fut la tentative d’imposer des cours de *« national education » à Hong Kong en 2012, qui provoqua de vastes manifestations étudiantes – révélant les limites de l’acceptation de cette idéologie hors du continent.


Objectifs déclarés : Officiellement, la campagne d’éducation patriotique en Chine vise à *« booster l’esprit national, renforcer la cohésion et la fierté du peuple »*. Il s’agit de consolider l’unité nationale d’un pays continent peuplé de 1,4 milliard d’habitants et de 56 ethnies, en forgeant un récit commun centripète. Pour le régime, inculquer l’amour de la patrie permet de légitimer la domination du PCC, présenté comme l’architecte du redressement chinois après un « siècle d’humiliation ». Un discours récurrent est que seule la direction ferme du Parti a permis à la Chine de recouvrer sa souveraineté (1949), puis de devenir la deuxième puissance économique mondiale – d’où une obligation morale de loyauté envers ce Parti. Par ailleurs, ce patriotisme sert de rempart idéologique contre les influences occidentales jugées subversives : démocratie libérale, droits de l’homme, mouvements religieux, etc. Après les « révolutions de couleur » en ex-URSS et le Printemps arabe, le PCC redoutait des contestations internes alimentées de l’étranger ; en exaltant le nationalisme et en dénonçant les ingérences, il soude la population autour d’un projet commun et délégitime toute opposition comme étant antipatriotique. Enfin, sur le plan international, Pékin promeut un discours d’« amour de la patrie » pour encourager la diaspora chinoise à soutenir ses positions, et pour présenter son modèle autoritaire comme un choix souverain du peuple chinois, non imposé mais approuvé par ferveur nationaliste.


Impacts observés : L’impact sur la souveraineté et l’unité nationale chinoises est indéniable. Après des décennies d’effacement sous Mao (qui prônait plutôt l’internationalisme communiste), le sentiment national chinois est aujourd’hui extrêmement puissant. Les enquêtes montrent que la fierté nationale en Chine est parmi les plus élevées au monde, la majorité des citoyens considérant que leur pays a retrouvé sa grandeur. Ce patriotisme a renforcé la résilience du régime face aux pressions extérieures : par exemple, lors de la guerre commerciale avec Washington (2018-2019), la population a globalement soutenu la fermeté de Pékin, quitte à en subir le coût économique, par orgueil national. On observe aussi une tolérance accrue à l’autocratie dès lors qu’elle est associée à l’intérêt national : Xi Jinping a pu abolir la limitation des mandats sans provoquer de protestation notable, le récit officiel assimilant la concentration du pouvoir à la nécessité de « réaliser le rêve chinois de renaissance nationale ». Le revers de la médaille est un certain chauvinisme qui peut engendrer des tensions internes ou régionales : la minorité ouïghoure du Xinjiang, par exemple, subit une politique assimilationniste drastique au nom de l’unité nationale, entraînant de probables atteintes aux droits de l’homme. De même, à Hong Kong, la volonté d’imposer l’idéologie patriote a alimenté les troubles de 2019. Sur le plan du développement économique, la stabilité sociale obtenue via le patriotisme a sans doute favorisé un environnement propice aux affaires dans les années 1990-2000. Le peuple, convaincu d’une « destinée manifeste » de prospérité nationale, a consenti aux sacrifices et aux réformes difficiles (privatisations, exode rural) sous la bannière de l’intérêt supérieur de la nation. En ce sens, l’idéologie a servi de colle sociale durant l’essor économique. Cependant, certains analystes notent qu’un nationalisme trop exacerbé peut devenir contre-productif économiquement : par exemple, le boycott chinois de produits sud-coréens en 2017 (après l’installation du bouclier antimissile THAAD) ou les campagnes régulières contre les marques japonaises ont perturbé le commerce. Enfin, l’éducation patriotique a donné à la Chine un soft power culturel ambigu : d’une part, la confiance en soi retrouvée permet à Pékin de s’affirmer sur la scène mondiale ; d’autre part, la propagande nationaliste est mal perçue à l’extérieur, suscitant méfiance et accusations d’impérialisme (par exemple vis-à-vis des revendications en mer de Chine méridionale ou de la diplomatie dite du « loup guerrier »).

En somme, le dispositif idéologique chinois a réussi à refonder le contrat social post-Tiananmen en substituant le patriotisme au communisme comme socle de légitimité. En boostant l’orgueil national (y compris dans des domaines comme le sport, la technologie spatiale ou la lutte contre la COVID-19 où les succès sont amplement médiatisés), le PCC a renforcé sa souveraineté politique – au point de défier l’ordre mondial établi – et consolidé l’unité de la population derrière lui, quitte à attiser parfois un nationalisme ardent difficile à contrôler.

 

Russie – « Russkiy Mir » : le « monde russe »

 

Contexte idéologique : Depuis la chute de l’URSS en 1991, la Fédération de Russie a cherché à définir une nouvelle idéologie mobilisatrice. Si le communisme a disparu, le Kremlin a misé sur le concept de « Russkiy Mir » (littéralement « monde russe ») pour rassembler non seulement les citoyens de la Fédération, mais aussi tous ceux qui, de par le monde, partagent la langue et la culture russes. Ce dispositif idéologique, qui a pris forme au début des années 2000 sous Vladimir Poutine, mêle nationalisme ethno-culturel et ambitions géopolitiques. En 2007, Poutine crée par décret la Fondation Russkiy Mir, organisme d’État destiné à promouvoir la langue et la culture russes à travers le monde et à « former le monde russe comme projet global », en coopération avec l’Église orthodoxe. Cette fondation – calquée sur des institutions comme le British Council britannique ou l’Institut Goethe allemand – affiche une mission culturelle officielle, mais est perçue par de nombreux observateurs comme un instrument de soft power et de propagande du Kremlin. Plus largement, Russkiy Mir désigne une idée quasi-civilisationnelle : celle qu’il existe une communauté transnationale unie par la russité, incluant les Russes ethniques et russophones au-delà des frontières actuelles, et que la Russie a le devoir de protéger et de rassembler cette communauté. Cette idéologie insiste sur la notion de « valeurs traditionnelles » (conservatisme social, orthodoxie) en opposition aux valeurs « décadentes » de l’Occident. Il s’agit de présenter la Russie comme une « civilisation unique » et un rempart de la morale traditionnelle, face à des démocraties occidentales vues comme hostiles. En interne, le Russkiy Mir promeut un patriotisme teinté de nostalgie impériale (réhabilitant partiellement l’héritage tsariste et soviétique). En externe, il sert à justifier l’influence russe dans l’« étranger proche » (espace post-soviétique) et au-delà.


Cas historique majeur : Un cas illustrant la mise en œuvre de Russkiy Mir est la politique russe envers ses voisins immédiats dès les années 2000. Par exemple, lors de la guerre d’août 2008 en Géorgie, la Russie est intervenue militairement sous prétexte de protéger les populations ossètes et abkhazes (dont beaucoup avaient reçu un passeport russe). Bien que le terme Russkiy Mir n’ait pas été explicitement invoqué, la logique était conforme à cette idéologie : Moscou s’est posé en défenseur des « compatriotes » hors des frontières, affirmant un droit d’ingérence humanitaire et culturelle. De même, la distribution massive de passeports russes dans des régions sécessionnistes (Transnistrie en Moldavie, Abkhazie et Ossétie du Sud en Géorgie, Crimée et Donbass en Ukraine) depuis les années 2000 traduit cette volonté de recréer une sphère russe au-delà de la Fédération. L’établissement de la Fondation Russkiy Mir en 2007 et l’organisation de congrès annuels des « compatriotes russes de l’étranger » fournissent une structure à cette idéologie. Un fait marquant est le discours de Vladimir Poutine en 2014 après l’annexion de la Crimée : il y parlait des Russes et russophones d’Ukraine comme faisant partie de « notre monde russe commun », justifiant le rattachement de la Crimée par l’histoire partagée et la nécessité de sauver cette population d’un prétendu nationalisme ukrainien. On peut également citer l’essor des médias d’État russes à l’étranger (RT, Sputnik), diffusant en de multiples langues une vision du monde souvent alignée avec l’idée d’un camp civilisationnel russe opposé à l’Occident, séduisant parfois des publics nostalgiques ou critiques de l’hégémonie occidentale.


Cas récent (depuis 2010) : L’exemple le plus retentissant de l’idéologie Russkiy Mir est sans conteste la crise ukrainienne débutée en 2014 et culminant avec l’invasion de 2022. En 2014, la Russie annexe la Crimée et soutient des mouvements séparatistes dans le Donbass en se présentant comme le protecteur naturel des populations russophones de ces régions. Vladimir Poutine déclare alors qu’il « ne peut abandonner » ces populations, et évoque la nécessité de « défendre le monde russe ». En février 2022, avant de lancer l’« opération militaire spéciale » en Ukraine, Poutine prononce un long discours niant la légitimité de l’Ukraine en tant que nation indépendante, affirmant que les Ukrainiens et les Russes sont « un seul peuple » lié par l’Histoire, la langue et la foi orthodoxe – une vision parfaitement conforme au Russkiy Mir. Le concept est même intégré officiellement dans la doctrine russe : un décret présidentiel de septembre 2022 sur la « politique humanitaire à l’étranger » place au cœur de la stratégie l’appui aux valeurs du Russkiy Mir, donnant un prétexte juridique permanent à des interventions dans le voisinage au nom de la protection de la culture russe. Comme l’analyse un rapport du CSIS, en codifiant ainsi le droit d’ingérence pour les locuteurs russophones de l’étranger, Moscou s’est octroyé un « casus belli permanent » pour intervenir chez ses voisins. Par exemple, la Russie prétend justifier son invasion de l’Ukraine en 2022 par la nécessité de défendre les russophones du Donbass d’un « génocide », combinant le discours du Russkiy Mir (un seul peuple russe transfrontalier) avec une rhétorique antifasciste calquée sur la Seconde Guerre mondiale (« dénazification » de l’Ukraine). Sur le plan non militaire, la Russie a aussi intensifié depuis 2010 ses efforts de diffusion culturelle : multiplication des centres Russkiy Mir dans les universités étrangères (plus de 100 centres dans 62 pays au milieu des années 2010), organisation de festivals et d’événements célébrant la culture russe, sans oublier le rôle de l’Église orthodoxe russe qui a établi des paroisses et renforcé son influence auprès des diasporas.


Objectifs déclarés : Le discours officiel russe présente Russkiy Mir comme un vecteur de rayonnement culturel et linguistique – analogue, en théorie, à la francophonie ou au Commonwealth – et comme un outil pour rassembler les peuples ayant un héritage russe commun. Moscou insiste sur la notion de solidarité avec les « compatriotes » (соотечественники) à l’étranger, un terme qui inclut non seulement les citoyens russes expatriés mais aussi les ex-ressortissants soviétiques et leurs descendants. L’objectif affiché est de maintenir un lien identitaire fort entre la Mère patrie et cette diaspora large, afin de préserver l’usage du russe, les traditions orthodoxes, etc.. Cela s’accompagne de l’ambition de contrer l’influence occidentale dans l’espace post-soviétique : le Kremlin se pose en alternative aux valeurs libérales, en défendant des valeurs conservatrices « authentiquement russes » (famille traditionnelle, patriotisme, centralité de l’État). Poutine a plusieurs fois évoqué la Russie comme une « civilisation » distincte, ayant le devoir d’empêcher l’Occident d’exporter ses « valeurs destructrices » dans les pays voisins. Le concept de Russkiy Mir sert aussi d’assise idéologique à la politique étrangère de la Russie retrouvant son statut de grande puissance : en se proclamant leader d’un monde russe transnational, Moscou justifie son rôle de puissance protectrice dans son étranger proche, voire au-delà (par exemple en Syrie, le narratif officiel a été de protéger les chrétiens orthodoxes du Moyen-Orient contre l’extrémisme). En résumé, les objectifs déclarés incluent : l’unification culturelle du monde russophone (y compris via l’expansion de l’Église orthodoxe russe comme ciment spirituel), la préservation de la langue russe partout où elle recule (le Kremlin va jusqu’à qualifier le recul du russe dans certains pays de menace stratégique), et la promotion d’une vision multipolaire du monde où la Russie serait le pôle majeur d’une aire civilisationnelle eurasiatique rivale de l’Occident.


Impacts observés : L’idéologie du Russkiy Mir a eu des effets significatifs, souvent déstabilisateurs, sur la souveraineté de plusieurs États postsoviétiques. En se posant en protecteur des Russes ou russophones d’autres pays, Moscou a directement porté atteinte à la souveraineté de nations comme la Géorgie, l’Ukraine ou la Moldavie, en encourageant ou instrumentalisant des mouvements sécessionnistes sur leur sol. Par exemple, l’Ukraine a vu sa territorialité violée : la Crimée a été annexée sous couvert de réunification du monde russe, et les régions du Donbass ont été en partie soustraites à son contrôle par des entités séparatistes proclamant leur appartenance à la sphère russe (les « républiques populaires » de Donetsk et Lougansk brandissaient le drapeau Novorossiya rappelant l’empire tsariste, et enseignaient le russe comme langue principale). Cette idéologie a donc clairement servi de justification à l’expansionnisme : comme le note le Dr Jeffrey Mankoff, le Russkiy Mir « incarne l’idée d’une nation impériale russe transcendante les frontières de la Fédération » et remet en cause *« les efforts des États voisins pour construire leur propre nation civique indépendante de la Russie »*. Du point de vue de la Russie elle-même, on observe que Russkiy Mir a consolidé en interne un nationalisme grand-russe puissant. La popularité de Poutine a bondi après l’annexion de la Crimée en 2014 (plus de 80 % d’opinions favorables, un quasi-consensus) grâce à l’orgueil national réveillé – beaucoup de Russes ayant sincèrement ressenti qu’une terre « historique russe » retournait au bercail. Ainsi, l’idéologie a renforcé l’unité nationale russe autour d’un récit de retrouvailles identitaires et de revanche sur l’humiliation des années 1990 (élargissement de l’OTAN, perte de statut international). Cependant, elle a aussi mené la Russie à l’isolement diplomatique (de l'Occident) et à de lourdes sanctions économiques. L’interventionnisme justifié par Russkiy Mir (Géorgie 2008, Ukraine 2014-2022) a provoqué des mesures punitives occidentales qui affectent le développement russe : après 2014, la croissance russe a stagné et l’investissement étranger a chuté, et après 2022 le pays subit une récession due aux sanctions et aux coûts de la guerre, bien qu'elle s'en soit remise depuis.

Sur le plan de l’unité nationale des autres pays, l’idéologie russe a eu un impact délétère. En Ukraine, elle a alimenté une profonde fracture entre l’Est et l’Ouest du pays : la minorité russophone s’est vu promise un avenir au sein du Russkiy Mir plutôt qu’au sein de la nation ukrainienne, créant une ligne de faille identitaire qui a dégénéré en conflit. En réaction, les Ukrainiens, même russophones modérés, se sont détachés de la culture russe pour affirmer une identité propre, accélérant l’érosion de l’influence culturelle russe (par exemple, l’usage du russe en Ukraine a nettement diminué depuis 2014, et les Églises orthodoxes ukrainiennes se sont émancipées du patriarcat de Moscou). Ainsi, l’idéologie a eu l’effet inverse de celui escompté dans certains cas, renforçant le nationalisme des autres peuples en opposition à la Russie. En Russie même, à plus long terme, le discours du Russkiy Mir comporte un risque interne : en exaltant le critère ethno-linguistique russe, il peut marginaliser les nombreuses minorités non russes de la Fédération (Tatars, peuples du Caucase, Sibérie, etc.), ce qui pourrait poser problème à l’unité d’un pays multiethnique. Pour l’instant, Poutine a équilibré ce discours avec l’héritage soviétique (où toutes les nationalités avaient part à la grandeur commune) pour ne pas aliéner ces minorités.

 

En définitive, Russkiy Mir a permis à Moscou de rallier sa population autour d’un nouveau récit national post-communiste, et de projeter sa puissance sous couvert de protection culturelle. Mais a également provoqué des résistances farouches et isolé la Russie (du monde occidental), soulevant des questions quant à la viabilité économique et politique de cette voie. L’Europe de l’Est s’est durcie contre l’influence russe, l’OTAN s’est renforcée, et même des outils de soft power comme la Fondation Russkiy Mir sont désormais sanctionnés (l’UE a inscrit celle-ci sur liste noire en 2022 pour son rôle dans la guerre en Ukraine). L’idéologie du « monde russe » a donc atteint ses buts à court terme (mobilisation patriotique, expansion territoriale partielle), mais au prix d’une remise en cause de l’ordre international et d’une confrontation coûteuse dont l’issue reste incertaine.


 

États-Unis – Le « Rêve Américain » : une idéologie de l’opportunité et son double visage

 

Contexte idéologique : L’American Dream (Rêve américain) est sans doute l’idéologie nationale la plus connue à travers le monde. Il s’agit de l’idée que chacun, par son travail et son mérite, peut réussir et s’élever socialement aux États-Unis, quelles que soient ses origines. Formulé explicitement dès 1931 par l’historien James Truslow Adams, le rêve américain promet « une vie meilleure, plus riche et plus pleine pour tous, avec des opportunités pour chacun selon sa capacité ou sa réalisation ». Cette croyance est devenue le mythe unificateur de la société américaine, incarnant la quintessence des valeurs du pays : la liberté individuelle, l’égalité des chances, l’esprit pionnier et entrepreneurial. L’American Dream sert de dispositif idéologique interne pour cimenter une nation de migrants aux identités diverses – tous se reconnaissant dans l’espoir d’une prospérité accessible – et de levier externe pour l’attractivité des États-Unis (terre d’asile et d’opportunités). Durant la guerre froide, le rêve américain a été un puissant outil de propagande face au bloc soviétique, opposant l’abondance et la mobilité sociale américaines à la prétendue morosité de la vie sous le communisme. Des symboles comme la maison individuelle en banlieue, la voiture pour chaque famille, ou encore des histoires de self-made men partis de rien pour devenir millionnaires, ont nourri cette idéologie.


Cas historique marquant : Un événement emblématique de la réalisation du rêve américain est la période d’après-guerre (1945-1960) aux États-Unis. Ce fut l’ère de la prospérité partagée : grâce au G.I. Bill (loi de 1944 offrant études et prêts immobiliers aux vétérans) et à la croissance économique rapide, des millions d’Américains issus de milieux modestes ont pu accéder à la classe moyenne – acheter une maison, envoyer leurs enfants à l’université, etc. La banlieue pavillonnaire typique des années 1950 symbolise ce rêve devenu réalité pour de nombreuses familles ouvrières ou immigrées. Par exemple, la success story de familles européennes arrivées pauvres à Ellis Island en début de siècle et dont les enfants, après la guerre, deviennent médecins, avocats ou entrepreneurs prospères, illustre la promesse tenue du rêve américain. Cette période a aussi vu l’essor de la consommation de masse (électroménager, automobile, télévision) rendant concret pour la majorité un niveau de vie jadis réservé aux élites. L’idéologie du rêve était partout dans la culture populaire : Hollywood produisait des films où le héros triomphait de l’adversité par son talent (par ex. À l’est d’Éden avec James Dean), les publicités vantaient l’épanouissement personnel par la propriété et le confort moderne, et même les discours politiques y faisaient référence – John F. Kennedy parlant en 1960 d’une « Nouvelle Frontière » à conquérir, prolongeant le motif du rêve infini. Un autre jalon historique est le mouvement des droits civiques dans les années 1960 : des leaders comme Martin Luther King ont invoqué l’American Dream pour réclamer l’égalité raciale, soulignant la contradiction entre l’idéal et la réalité pour les Afro-Américains. Son célèbre discours « I have a dream » (1963) fait explicitement référence à cette promesse américaine d’égalité des chances pour tous. Ainsi, le rêve américain a servi de langage universel de revendication même aux exclus du système, preuve de sa force intégratrice comme horizon d’espoir.


Cas récent (depuis 2010) : Dans l’Amérique contemporaine, le rêve américain est toujours invoqué, quoique avec des interrogations croissantes sur son accessibilité réelle. Un cas récent souvent cité est l’élection de Barack Obama en 2008 (même si antérieure à 2010, ses effets se font sentir après) : fils d’un étudiant kényan et d’une américaine du Kansas, élevé modestement, Obama accède à la présidence – symbole ultime que « tout est possible » en Amérique, y compris pour une minorité naguère opprimée. Son slogan de campagne « Yes We Can » reflétait l’esprit du rêve américain remis au goût du jour. Durant son mandat (2009-2017), Obama a régulièrement parlé de « restaurer le rêve américain », conscient que la crise financière de 2008 avait ébranlé la classe moyenne. Un autre événement récent illustratif est le succès de nombreux immigrés de première génération dans la Silicon Valley ou le monde universitaire. Par exemple, Sundar Pichai, né en Inde dans une famille modeste, émigre aux États-Unis pour ses études et devient CEO de Google – incarnation vivante du rêve américain pour la diaspora indienne. De même, on a vu depuis 2010 des « Dreamers » (jeunes sans-papiers arrivés enfants) obtenir des diplômes et militer pour être régularisés, utilisant le terme même de dream pour s’identifier. En 2017, le débat national autour du programme DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals) a mis en lumière que ces jeunes se considéraient américains de cœur et porteurs du rêve national malgré leur statut juridique précaire.

Cependant, l’idéologie du rêve américain a aussi été récupérée par d’autres courants : en 2016, Donald Trump fait campagne sur « Make America Great Again », qui s’adresse en creux à ceux qui estiment que le rêve leur a échappé. Il promet de le raviver pour la classe ouvrière blanche frappée par la désindustrialisation, exploitant ainsi la face sombre du rêve – la frustration et le sentiment de trahison quand celui-ci semble hors d’atteinte. Après 2010, de plus en plus d’analyses pointent une crise du rêve américain : montée des inégalités, stagnation des revenus, coût prohibitif des études supérieures, etc., qui bloquent l’ascenseur social. Par exemple, le taux de mobilité sociale aux États-Unis est désormais plus faible que dans plusieurs pays d’Europe. Des statistiques montrent que la probabilité pour un enfant né dans les 20 % les plus pauvres d’atteindre les 20 % les plus riches est d’environ 7,5 % aux États-Unis, contre 11,7 % au Danemark – signe que le Dream est devenu plus dur à réaliser qu’ailleurs. En 2020, le Pew Research Center notait que l’inégalité de revenu aux USA (coefficient de Gini ~0,434) était la plus élevée des pays du G7, plus qu’en France (0,326) par exemple, soulignant un paradoxe : la terre d’égalité des chances affichée connaît de fortes disparités.


Objectifs déclarés : L’American Dream, en tant que dispositif idéologique, a pour but de fédérer la société américaine autour d’un récit optimiste et méritocratique. Le message est double : à l’intérieur, il incite chaque citoyen à travailler dur et viser l’ascension sociale, et il légitime le système socio-économique en place (capitalisme libéral) en le présentant comme juste et offrant sa chance à chacun. Cela a pour fonction d’éviter les conflits de classe : si tout le monde peut potentiellement devenir riche, la lutte des classes perd de sa pertinence. À l’extérieur, le rêve américain est un élément central du soft power américain : c’est une part de la « marque » États-Unis, qui attire les talents (des millions d’étudiants et travailleurs qualifiés migrent vers les USA chaque année avec l’espoir d’y réussir) et promeut le modèle américain comme un idéal de liberté et de prospérité. Politiquement, les dirigeants américains font constamment référence à ce rêve dans leurs discours, tant pour vanter les réussites (par exemple, chaque discours sur l’état de l’Union inclut des anecdotes de citoyens ayant concrétisé le rêve par leur initiative) que pour fixer des objectifs : « sauver le rêve américain », « ne laisser personne en rade du rêve américain », etc. Sur le plan de la politique étrangère durant la guerre froide, l’objectif idéologique était de prouver la supériorité du way of life américain face au communisme en exhibant un niveau de vie élevé et des libertés – encourageant ainsi les populations derrière le Rideau de fer à aspirer au rêve occidental. Un autre objectif implicite est la cohésion nationale par l’adhésion à des valeurs communes (liberté, réussite, propriété privée) plutôt qu’à une identité ethnique : le rêve américain est intrinsèquement lié à l’idée que n’importe quel immigrant peut devenir américain s’il adhère à ces valeurs de travail et d’optimisme. C’est en quelque sorte le socle de l’identité américaine civique.


Impacts observés : L’impact du rêve américain sur la souveraineté et l’unité nationale des États-Unis a globalement été positif en ce sens qu’il a réussi à intégrer d’innombrables vagues d’immigrants dans un projet national commun. Contrairement à de vieux pays-nations bâtis sur une ethnie, les USA se sont construits sur un credo : the American Creed (selon l’historien Huntington) dont l’American Dream est le cœur. Cela a forgé une forte identité patriotique centrée non sur la souche (les WASP) mais sur l’adhésion à un rêve partagé. Par exemple, l’armée américaine intègre depuis toujours des soldats d’origine diverse unis par l’idée de défendre « la terre de la liberté » où leurs familles ont pu s’élever. De même, l’innovation économique foisonnante aux États-Unis est souvent attribuée à cet esprit du rêve : prise de risque, entrepreneuriat encouragé par la perspective de réussite. De fait, l’Amérique a produit un nombre impressionnant d’entrepreneurs partis de peu : de Steve Jobs (fils d’immigré syrien adopté, créant Apple dans un garage) à Elon Musk (immigré sud-africain bâtissant Tesla et SpaceX). Ces figures entretiennent le mythe et, en retour, stimulent l’économie en attirant des capitaux humains et financiers du monde entier. L’American Dream a aussi eu un effet géopolitique : il a servi de modèle aspirational pour de nombreux pays en développement qui ont cherché à reproduire « leur version du rêve » (par exemple le rêve brésilien, le rêve chinois récemment – bien que de nature différente – s’inspirent de l’idée d’une ascension collective possible).

Néanmoins, le rêve américain montre aussi ses limites et revers internes. Sur l’unité nationale, l’inexécution du rêve pour certains groupes a engendré des tensions. L’exemple racial est criant : malgré les progrès du mouvement des droits civiques, les Afro-Américains restent économiquement à la traîne (le revenu médian des ménages noirs n’était encore que 61 % de celui des blancs en 2018), ce qui nourrit un sentiment que le rêve est biaisé. Le mouvement Black Lives Matter, s’il concerne d’abord les violences policières, s’inscrit dans une frustration plus large face à un système qui n’a pas tenu toutes ses promesses d’égalité. De même, la crise des opioïdes et le désespoir dans certaines zones rurales ou industrielles déclinent se traduisent par un taux de suicides et de morts par overdose élevé chez les blancs non diplômés – un phénomène de « morts par désespoir » que deux économistes (Case et Deaton) ont relié à la perte du rêve pour cette population. Politiquement, cela s’est traduit par une polarisation accrue : ceux qui se sentent floués par le rêve (partisans de Trump, en grande partie) s’opposent à ceux qui en ont encore bénéficié (urbains diplômés). Sur le plan économique, la croyance au rêve américain a pu justifier une certaine faiblesse du filet de protection sociale : l’idée étant que chacun doit se débrouiller pour réussir, les aides sociales et la santé publique sont moins développées qu’en Europe. Cela a permis un dynamisme économique mais aussi créé de la précarité. Par exemple, l’absence de sécurité maladie pour tous a fait que des millions d’Américains tombent dans la pauvreté s’ils tombent malades – ce qui contredit l’idéal d’égalité des chances, car un accident de vie peut ruiner une trajectoire.

Quant à l’impact extérieur, l’American Dream a longtemps été un instrument de puissance douce très efficace, inspirant admiration ou envie. Néanmoins, depuis les années 2000, l’image du rêve américain a été ternie par divers facteurs : la crise financière de 2008 (partie des excès du système américain) a diminué l’aura du modèle, les inégalités criantes et problèmes sociétaux américains (violences armées, divisions raciales) sont très médiatisés et entament la crédibilité de la promesse. Des sondages mondiaux montrent que l’attractivité de l’Amérique a baissé sous l’ère Trump, bien qu’elle se redresse partiellement sous Biden. Pour beaucoup de jeunes dans le monde, la « terre de liberté » est concurrencée par d’autres récits (le rêve européen d’un bien-être social, par exemple). Malgré tout, l’immigration vers les États-Unis demeure élevée, signe que le rêve américain conserve une part de réalité : la diaspora africaine ou asiatique continue de voir les USA comme un lieu où un talent peut s’épanouir (beaucoup d’étudiants étrangers restent y travailler, créant des start-ups, etc.).

En somme, le Rêve américain reste un mythe mobilisateur central aux États-Unis, qui a su dans le passé forger une cohésion nationale et un dynamisme économique hors norme. Mais il est aujourd’hui confronté à des défis structurels (inégalités, mobilité sociale en berne) qui posent la question de sa pérennité. Les dirigeants américains, conscients du danger, tentent de le réactualiser par des politiques (par ex., l’administration Biden investit dans les infrastructures et l’éducation pour « donner une chance à l’Amérique oubliée »). Car l’érosion du rêve pourrait mener à une fragmentation de la société américaine et affaiblir son modèle sur la scène mondiale.

 

Ghana – Du panafricanisme fondateur à la quête d’un développement endogène

 

Contexte idéologique : Le Ghana, première colonie d’Afrique subsaharienne à accéder à l’indépendance en 1957, a joué un rôle pionnier dans l’articulation d’un discours idéologique panafricaniste. Sous la direction de Kwame Nkrumah, son premier président, le Ghana a embrassé l’idée que son indépendance n’avait de sens que s’il contribuait à la libération et à l’unité de toute l’Afrique. Nkrumah, figure du panafricanisme, prônait le socialisme africain et l’union politique du continent. Il a établi un Institut idéologique (l’Institut Winneba) pour former les cadres du Parti de la Convention du Peuple (CPP) aux doctrines de la décolonisation, de l’unité africaine et de la fierté noire. L’idéologie ghanéenne post-indépendance combinait donc un nationalisme inclusif (transcendant les nombreuses ethnies du Ghana sous une identité commune) et un panafricanisme militant. Le concept d’African Personality (personnalité africaine) cher à Nkrumah valorisait les cultures africaines et appelait à rompre avec le complexe d’infériorité hérité de la colonisation. Il s’agissait d’insuffler une conscience panafricaine aux citoyens, pour qu’ils se sentent solidaires des autres peuples du continent et investis d’une mission historique. Le Ghana a ainsi été à l’avant-garde de la création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en 1963.

Cas historique marquant : Le discours prononcé par Kwame Nkrumah à minuit le 6 mars 1957, lors de l’indépendance du Ghana, est resté célèbre pour la déclaration : « Notre indépendance est sans signification si elle n’est pas liée à la libération totale de l’Afrique ». Cette phrase forte résume l’idéologie du Ghana nouveau : au-delà de l’enthousiasme national (le Ghana « libre pour toujours » célébré ce soir-là), Nkrumah fixait d’emblée un objectif panafricain. Il a mis en pratique cette vision en soutenant activement les mouvements anticoloniaux ailleurs en Afrique. Par exemple, il a offert aide et refuge aux leaders en exil des pays encore sous domination – Patrice Lumumba du Congo ou Julius Nyerere de Tanzanie ont tous transité par Accra. En 1958, le Ghana a organisé la première Conférence des Peuples Africains, réunissant des délégués de divers territoires colonisés, ce qui a contribué à coordonner les luttes indépendantistes. Nkrumah a également temporairement formé une union politique avec la Guinée de Sékou Touré et le Mali de Modibo Keïta en 1960-1961 (l’Union des États africains) pour donner un signal de l’unité africaine. Bien que cette union n’ait pas duré, elle fut un geste symbolique fort. Sur le plan intérieur, Nkrumah a encouragé une politique d’africanisation : noms de rues et de villes renommés, promotion des vêtements traditionnels, mise en avant de l’histoire précoloniale dans l’éducation. L’objectif était de forger une identité nationale fière et détachée du joug mental colonial. Socialement, son gouvernement a investi dans l’éducation de masse, considérant l’éducation comme l’outil pour « créer le citoyen africain nouveau » conscient de ses droits et de son héritage.


Évolution récente (depuis 2010) : Après des décennies 1970-1980 marquées par des coups d’État et l’ajustement structurel (le Ghana s’est quelque peu éloigné du panafricanisme militant sous Rawlings pour se concentrer sur la reconstruction économique), le Ghana des années 2010 revient sur le devant de la scène idéologique africaine d’une nouvelle manière. En 2019, le gouvernement d’Akuffo-Addo a lancé l’initiative du « Year of Return » (Année du Retour), commémorant les 400 ans de l’arrivée des premiers esclaves africains en Amérique (1619-2019). Cette initiative a invité la diaspora africaine mondiale – en particulier les Afro-Américains – à **« revenir » au Ghana, que ce soit pour une visite patrimoniale, pour investir, ou même pour s’y établir. L’Année du Retour a été un énorme succès, avec environ 760 000 visiteurs étrangers au Ghana en 2019 et 1,9 milliard de dollars de recettes touristiques. Des dizaines de personnalités afro-descendantes ont fait le voyage (y compris des stars comme Samuel L. Jackson ou Naomi Campbell), et le Ghana a accordé symboliquement la citoyenneté ghanéenne à 126 membres de la diaspora lors d’une cérémonie émouvante en fin d’année. Cette initiative, au-delà de son aspect économique, s’inscrit dans un renouveau du panafricanisme version XXI^e siècle (parfois qualifié de « panafricanisme 2.0 »). Il s’agit de reconnecter l’Afrique et sa diaspora globale, de promouvoir la fierté de l’identité africaine et de mobiliser les ressources de la diaspora pour le développement du continent. Le Ghana, pays de forts symboles historiques (forts d’esclaves d’Elmina et Cape Coast, etc.), s’est positionné comme la « porte d’entrée » de ce retour aux sources.

Par ailleurs, le Ghana s’est aligné sur les visions panafricaines continentales comme l’Agenda 2063 de l’Union africaine. Il héberge depuis 2021 le Secrétariat de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) à Accra, ce qui correspond à son engagement pour l’intégration régionale. Sur le plan idéologique national, le président Akufo-Addo a défendu l’idée d’un « Ghana Beyond Aid » (Ghana au-delà de l’aide), slogan d’une politique visant à renforcer l’auto-dépendance et la dignité économique. Lancé en 2019 sous forme d’un document stratégique, Ghana Beyond Aid appelle à une gestion plus efficiente des ressources nationales, à l’industrialisation et à la mobilisation des revenus internes, de sorte que le pays ne dépende plus de l’aide étrangère pour son budget de développement. Ce discours résonne avec l’idéologie panafricaniste d’autonomie et de fin du néocolonialisme économique. En effet, Akufo-Addo a été très vocal sur la réforme du franc CFA et la nécessité pour l’Afrique de se libérer des tutelles monétaires étrangères (bien que le Ghana ne soit pas zone CFA, sa voix compte dans la CEDEAO pour l’Eco).


Objectifs idéologiques et déclarés : Historiquement, Nkrumah visait à unir l’Afrique et affirmer la dignité des Africains. Pour le Ghana, cela signifiait se poser en exemple et leader du panafricanisme. Le gouvernement Nkrumah déclarait vouloir construire une économie socialiste planifiée pour prouver que l’Afrique pouvait se développer de manière autonome. L’industrialisation (avec le projet phare du barrage d’Akosombo et de la Volta Aluminium Company), l’éducation gratuite et la santé pour tous faisaient partie de son programme, avec l’objectif final de faire du Ghana un pays avancé qui tire ses voisins vers le haut. Derrière l’idéologie, il y avait aussi des impératifs concrets de cohésion nationale : le Ghana compte plus de 70 groupes ethniques (Akan, Ewe, Ga, etc.), et Nkrumah voulait éviter le tribalisme en promouvant un nationalisme ghanéen transcendant, arrimé à l’idée plus large d’africanité. La formule « un peuple, un pays, un destin » a été martelée pour consolider l’unité.

Dans le Ghana actuel, les objectifs officiels de l’idéologie nationale se sont adaptés : la Constitution de 1992 établit un État démocratique multiethnique, et les gouvernements successifs ont mis l’accent sur la bonne gouvernance, la démocratie et la croissance partagée. Toutefois, l’héritage panafricaniste reste présent. Le Ghana se voit souvent comme une voix progressiste de l’Afrique sur la scène diplomatique. Par exemple, au sein de la CEDEAO, Accra a plaidé pour une plus grande libre circulation et pour la monnaie unique ouest-africaine. Le Year of Return 2019 avait pour objectif affiché de « redonner aux Afro-descendants un sentiment d’appartenance et encourager leur contribution au développement africain ». Il s’agit aussi de corriger l’histoire en reconnectant la diaspora aux racines, favorisant ainsi une forme de réconciliation historique. L’objectif économique lié était d’attirer les investissements de la diaspora (ce qui s’est en partie réalisé, certains Afro-Américains ont acheté des propriétés ou monté des affaires au Ghana). En interne, l’initiative a ravivé la fierté nationale ghanéenne d’être le point de convergence du monde afrodescendant. Le concept de Ghana Beyond Aid vise quant à lui à galvaniser la population autour d’un projet de souveraineté économique – rejoignant l’idée panafricaine de rompre les chaînes de la dépendance étrangère. Officiellement, Akufo-Addo dit vouloir que d’ici quelques décennies, le Ghana finance lui-même son budget sans recourir aux bailleurs internationaux, en mobilisant l’épargne domestique, l’efficacité fiscale et la valeur ajoutée locale sur ses matières premières (par ex, transformer le cacao en chocolat localement plutôt que d’exporter seulement la fève). Cela rejoint la vision plus large de l’Agenda 2063 dont l’une des aspirations est une Afrique maîtrisant son propre développement.


Impacts observés : Sur le plan de la souveraineté nationale, l’idéologie panafricaniste a donné au Ghana un prestige qui dépasse sa taille modeste. Le pays jouit d’une influence diplomatique notable : il a fourni plusieurs personnalités de premier plan sur la scène africaine et mondiale (Nkrumah hier, Kofi Annan hier et aujourd’hui sa voix porte à l’UA et l’ONU), ce qui montre que le « soft power » ghanéen via ses idées a du poids. Le Ghana est aussi l’un des rares pays d’Afrique de l’Ouest à avoir une démocratie stable depuis plus de deux décennies, avec alternance politique régulière. Certains analystes attribuent cette stabilité à une culture politique héritée de Nkrumah valorisant la participation citoyenne et l’éducation. Certes, il y a eu une période de dictatures militaires après Nkrumah, mais depuis 1992 la trajectoire est positive. L’unité nationale du Ghana est relativement solide : il n’a pas connu de guerre civile ni de crise majeure interethnique, contrairement à certains voisins. L’usage de l’anglais comme langue officielle et l’accent mis historiquement sur la fierté ghanéenne ont atténué les clivages tribaux. L’identité ghanéenne s’est renforcée aussi par le football (victoires en Coupe d’Afrique) et la musique (afrobeat, highlife) qui exportent la culture locale.


En termes de développement économique, le Ghana a fait figure de bon élève dans les années 2010 avec une croissance soutenue (aide par la découverte de pétrole offshore en 2010) et une réduction de la pauvreté significative (premier pays d’Afrique subsaharienne à atteindre l’OMD de réduction de moitié de la pauvreté en 2006). Toutefois, il n’a pas atteint l’ambition de Vision 2020 (être à niveau de Singapour d’ici 2020) : le PIB par habitant du Ghana en 2020 restait autour de 2 200 $, très loin du Singapour de 1995. Les progrès ont été notables (le Ghana fait partie des pays à revenu intermédiaire depuis 2011), mais des défis subsistent (endettement élevé, chômage des jeunes, dépendance aux exportations de matières premières comme l’or, le cacao). L’idéologie du Ghana Beyond Aid est récente et ses impacts restent à voir. En 2022, le Ghana a dû solliciter un nouveau prêt du FMI en raison d’une crise de la dette – ce qui va à l’encontre du narratif d’autonomie, mais témoigne de difficultés structurelles partagées par de nombreux pays. Néanmoins, on observe une mobilisation de la diaspora ghanéenne dans le développement : celle-ci envoie près de 3 milliards de $ de transferts par an, investit dans l’immobilier, apporte des compétences. L’Année du Retour a également amélioré l’image du Ghana comme destination touristique et d’affaires stable en Afrique.

Sur l’intégration régionale, le Ghana joue un rôle moteur : il est pleinement impliqué dans la CEDEAO (dont il a assuré la présidence plusieurs fois) et promeut la libre circulation ouest-africaine (il fait partie des premiers pays à avoir adopté le passeport CEDEAO). En 2017, le Ghana a même proposé un droit de séjour sans visa pour tous les Africains, appliquant de fait un principe d’ouverture panafricaine. Cette politique renforce les échanges humains et économiques avec le reste de l’Afrique. En accueillant le secrétariat de la ZLECAf à Accra, le Ghana s’affirme comme un champion de la cause panafricaine économique, prolongeant l’héritage de Nkrumah sous une forme moderne (le libre-échange remplaçant le fédéralisme comme moyen d’unir l’Afrique).

En somme, l’idéologie ghanéenne, du panafricanisme originel au « Ghana Beyond Aid », a conféré au pays une identité forte et respectée, une certaine cohésion sociale, et a orienté ses politiques vers plus d’intégration africaine et de responsabilité propre. Les impacts économiques sont encore mitigés, mais la trajectoire globale du Ghana est souvent citée en exemple (démocratie stable, croissance, réduction de la pauvreté). Le défi consiste à concrétiser le slogan de l’autonomie en réduisant la dépendance aux exportations brutes et à l’endettement – ce qui nécessite de poursuivre l’industrialisation et l’ajustement budgétaire. Le Ghana montre en tout cas qu’un petit pays, par une diplomatie des idées et un récit mobilisateur, peut puncher au-dessus de son poids pour influer sur la conscience africaine collective.

Des membres de la diaspora africaine brandissent le drapeau ghanéen lors d’une cérémonie de naturalisation à Accra en 2019, aboutissement symbolique de l’initiative « Year of Return » qui vise à reconnecter le Ghana et la diaspora afro-descendante

 

Rwanda – Unité nationale, « Agaciro » et renaissance par l’éducation civique

 

Contexte idéologique : Le Rwanda, petit pays d’Afrique centrale, a vécu en 1994 l’une des tragédies les plus dévastatrices du XX^e siècle : le génocide des Tutsi, qui fit environ 800 000 morts en 100 jours. À l’issue de ce cataclysme, le Front Patriotique Rwandais (FPR) de Paul Kagame, qui prit le pouvoir en juillet 1994, a mis en place un dispositif idéologique intensif pour rebâtir la nation sur de nouvelles bases. L’enjeu était double : assurer la réconciliation et l’unité nationale  entre survivants, bourreaux et exilés de retour, et impulser une vision de développement pour sortir du trauma et de la pauvreté extrême. Le concept central promu par le nouveau régime est celui d’« Agaciro », mot kinyarwanda signifiant dignité, valeur. Kagame et son gouvernement ont lancé dès les années 2000 la notion de « Agaciro Development Fund » (fonds souverain alimenté par des contributions volontaires citoyennes) pour symboliser l’auto-dignité nationale : le Rwanda entend se prendre en charge lui-même, « se tenir debout sur ses propres pieds », et ne pas dépendre éternellement de l’aide étrangère. Sur le plan social, l’idéologie post-génocide repose sur le mantra « Ndi Umunyarwanda » (« Je suis rwandais »), une campagne instaurée officiellement en 2013 pour encourager chaque citoyen à se définir avant tout par sa rwandité et non par son ethnie. Le gouvernement a banni l’identification ethnique dans les documents officiels et criminalisé toute incitation à la haine ethnique, cherchant à effacer les divisions Hutu/Tutsi/Twa qui avaient été exacerbées par l’idéologie coloniale puis du régime Habyarimana. À la place, une identité nationale unifiée est martelée : un peuple rwandais, une langue (kinyarwanda) partagée, une culture commune valorisée.


Cas historique marquant : Le processus de Justice et Réconciliation communautaire (Gacaca) mis en œuvre de 2001 à 2012 illustre l’idéologie rwandaise de l’unité par la justice. Les tribunaux Gacaca, s’inspirant de la tradition, ont jugé au niveau local près de 2 millions de cas liés au génocide dans tout le pays, avec la participation de la population. L’objectif n’était pas seulement punitif, mais aussi de dire la vérité, pardonner et réhabiliter le tissu social. Si ce processus a ses critiques, il a permis d’éviter que des centaines de milliers de suspects croupissent en prison sans jugement, et il a poussé les communautés à parler du passé pour mieux avancer ensemble. Parallèlement, le Rwanda a instauré en 1999 une Commission Nationale pour l’Unité et la Réconciliation (CNUR), chargée d’organiser des programmes d’éducation à la paix, des dialogues communautaires et le suivi des indicateurs d’unité nationale. Un cas frappant du dispositif idéologique est la tenue annuelle depuis 1995 de la semaine Kwibuka (commémoration) en avril : pendant 100 jours chaque année, des cérémonies du souvenir du génocide ont lieu, accompagnées de messages officiels insistant sur « Plus jamais ça », sur l’héroïsme de ceux qui ont protégé leurs compatriotes, et sur la reconstruction nationale. Ces commémorations sont l’occasion de renforcer l’identité collective et la résilience en transformant un passé tragique en moteur d’unité présente.

Un autre aspect historique est la transformation de l’éducation. Après 1994, le gouvernement a révisé les manuels scolaires : exit l’ethnicisation de l’histoire (en place du temps des colonisateurs puis instrumentalisée par le régime Hutu-Power), mise en avant d’une histoire nationale glorieuse pré-coloniale (royaume de Rwanda) où l’identité rwandaise primait. Le patriotisme rwandais est encouragé chez les jeunes via l’enseignement civique et des programmes comme Itorero (camps civiques où les jeunes et fonctionnaires sont formés aux valeurs nationales, discipline et service communautaire).

Évolution récente (depuis 2010) : Dans les années 2010, le Rwanda a poursuivi sa trajectoire sous Kagame, en se concentrant sur sa Vision 2020 (adoptée en 2000) qui visait à faire du Rwanda un pays à revenu intermédiaire d’ici 2020, fondé sur une économie du savoir, une unité renforcée et une gouvernance efficace. Beaucoup d’objectifs de Vision 2020 ont été atteints ou approchés : la pauvreté a reculé de 60% à 38% entre 2000 et 2017, la croissance économique a en moyenne tourné autour de 7–8% par an, et le Rwanda est aujourd’hui souvent cité en exemple pour la réduction de la corruption et la facilité de faire des affaires (2^e pays d’Afrique dans le classement Doing Business 2020). En 2020, le gouvernement a lancé Vision 2050, le nouveau cadre stratégique pour les 30 prochaines années. Sur le plan idéologique, Vision 2050 continue d’insister sur l’unité, la bonne gouvernance et l’autonomie économique.

La notion d’Ubuntu a aussi refait surface dans le discours rwandais pour la réconciliation : Ubuntu, philosophie de l’interdépendance (« je suis parce que nous sommes »), est originellement bantoue (sud-africaine) mais a des équivalents dans la culture rwandaise (Ubumuntu, l’humanité). Le Centre Mémorial du Génocide à Kigali remet chaque année le Prix Ubumuntu pour honorer des individus ayant incarné l’humanité pendant le génocide (par ex. des Hutu ayant sauvé des Tutsi). Cela montre comment le Rwanda intègre des principes humanistes universels dans son récit national de résilience.

Sur la scène africaine, le Rwanda de Kagame s’est positionné comme un fervent panafricaniste pragmatique. Kagame a présidé l’Union africaine en 2018 et mené le chantier de réforme de l’UA (pour la rendre plus efficace et moins dépendante financièrement des donateurs extérieurs). Le Rwanda prône l’intégration africaine : il a supprimé dès 2013 les visas pour tous les Africains arrivant à ses frontières (politique de porte ouverte similaire au Ghana). En 2019, Kigali a été parmi les premiers à ratifier l’Accord de la ZLECAf. Et plus récemment, le Rwanda a projeté une image de « solution africaine aux problèmes africains » en envoyant ses propres troupes, à la demande des pays concernés, pour aider à combattre l’insurrection jihadiste au Mozambique (2021) et sécuriser la Centrafrique (2020) – démarche perçue comme de la solidarité panafricaine proactive, tout en rehaussant son standing diplomatique.


Objectifs déclarés : Le régime rwandais post-1994 affiche comme objectif fondamental la réconciliation nationale et la prévention des conflits identitaires. « Jamais plus de génocide sur notre sol » est un leitmotiv. Officiellement, toutes les politiques publiques (du système éducatif à l’aménagement du territoire) sont pensées pour renforcer l’unité : par exemple, le déménagement de populations de différentes régions dans des villages Imidugudu mélangés ou la promotion du Kinyarwanda comme langue d’enseignement (aux côtés de l’anglais) pour consolider une culture commune. Un autre objectif clé est le développement socio-économique endogène : Vision 2020 puis 2050 visent l’émergence du Rwanda en s’appuyant sur ses ressources humaines. L’idéologie d’Agaciro (dignité) signifie qu’on veut prouver que même un pays sans accès à la mer, densément peuplé et sans grandes richesses minières peut s’en sortir par le travail, l’innovation et la bonne gouvernance. Cette volonté de « réussir contre l’adversité » est devenue un élément de fierté nationale. Le Rwanda se fixe des objectifs ambitieux comme devenir un hub technologique africain (il a lancé le premier smartphone « Made in Africa » en 2019 avec Mara Phones, monté à Kigali) et un centre de conférences internationales (Kigali accueille de nombreux sommets, ce qui renforce l’image du pays). Au niveau africain, Kagame a souvent déclaré vouloir un continent plus uni et souverain : pendant sa présidence de l’UA, il a poussé le mantra de l’auto-financement de l’UA par une taxe d’importation continentale (idée partiellement mise en œuvre). L’objectif idéologique plus large est de faire du Rwanda un modèle qui inspirerait l’Afrique – transformant ainsi son tragique passé en force motrice pour le continent.

En interne toujours, le Rwanda insiste sur la promotion de l’égalité des genres comme faisant partie de sa renaissance : c’est un objectif officiel (le parlement rwandais est composé à plus de 60% de femmes, record mondial, mis en avant comme preuve d’un changement de mentalité et de la valorisation de toutes les composantes de la société). L’éducation civique via Itorero vise à « former des citoyens patriotes, intègres et engagés dans le développement du pays », selon les documents de la CNUR. L’armée rwandaise, rebaptisée Force de Défense Rwandaise, se positionne comme une armée de nation-building : elle participe à des travaux d’intérêt général (construction de routes, anti-érosion) et aux missions de paix de l’ONU (le Rwanda est un des plus gros contributeurs de Casques bleus en Afrique), ce qui correspond à l’objectif déclaré de rendre au monde l’aide reçue et d’être un fournisseur de sécurité en Afrique, un rôle jadis exclusivement dévolu aux puissances occidentales.


Impacts observés : Les résultats au Rwanda sont souvent qualifiés de remarquables compte tenu du point de départ en 1994. Sur le plan de l’unité nationale, il est indéniable qu’il n’y a plus de violences interethniques ouvertes depuis la fin de la guerre civile. Une génération de jeunes est née après le génocide et a grandi sans référence officielle aux identités Hutu/Tutsi – beaucoup d’entre eux se sentent avant tout Rwandais. Un sondage de la CNUR en 2020 indiquait un taux de plus de 90% des Rwandais qui se disent réconciliés et confiants dans la cohabitation intercommunautaire (chiffre à prendre avec précaution vu le contexte autoritaire, mais révélateur d’une tendance). Le Rwanda est parvenu à un haut degré de stabilité et de sécurité interne : c’est l’un des pays les plus sûrs d’Afrique selon Gallup Law and Order Index. Cela a permis la reprise économique et un climat favorable aux investisseurs.

Sur le plan du développement économique, les statistiques sont souvent mises en avant : PIB par habitant quadruplé depuis 2000, pauvreté absolue réduite de 60% à 38%, espérance de vie passée de 49 ans en 2000 à 69 ans en 2019, mortalité infantile divisée par cinq, quasi-couverture maladie universelle grâce à un système d’assurance communautaire (Mutuelles de santé). Ces progrès considérables font que le Rwanda a quasiment atteint tous les OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement) et poursuit sur les ODD. L’agriculture, occupant encore 70% de la population, a bénéficié de programmes de modernisation communautaire (terrasses anti-érosion, coopératives, subventions d’engrais) qui ont amélioré la productivité et la sécurité alimentaire. La croissance inclusive est là, même si des défis persistent (38% de pauvreté reste élevé, l’économie dépend encore de l’aide extérieure à hauteur d’environ 15% du budget, et le secteur privé domestique est peu développé en dehors de quelques success stories dans les services). L’idéologie d’Agaciro a encouragé une mobilisation nationale : par exemple, lors de l’arrêt brutal de certaines aides en 2012 (après accusations occidentales d’ingérence du Rwanda en RDC), le gouvernement a lancé un appel au patriotisme économique et les Rwandais (y compris diaspora) ont contribué volontairement des millions de dollars au fonds Agaciro pour pallier le manque – fort message d’auto-dignité.

Néanmoins, un impact plus controversé de l’idéologie rwandaise est la restriction des libertés politiques. Le régime de Kagame tolère peu la dissidence, affirmant que la stabilité fragile prime sur la démocratie pluraliste à l’occidentale. Les opposants ou journalistes trop critiques sont souvent réduits au silence sous prétexte qu’ils risquent de raviver la division ou la haine. Ainsi, l’unité nationale est parfois perçue comme imposée d’en haut. Ce qui soulève des questions : cette paix sociale va-t-elle perdurer quand la poigne du FPR se relâchera ? Ou bien l’endoctrinement patriote aura-t-il suffi à changer durablement les mentalités ? Pour l’instant, la plupart des Rwandais semblent adhérer au narratif officiel ou du moins s’y conformer.

Sur la scène africaine, le prestige du Rwanda est nettement rehaussé. De par son succès relatif, il est devenu une voix écoutée dans l’UA. D’autres pays s’inspirent de certaines de ses politiques (par ex. l’Interdiction des sacs plastique, implémentée dès 2008 au Rwanda, a été reprise par une quinzaine de pays africains depuis). Le Rwanda a conclu des partenariats innovants, comme l’accord avec le Bénin en 2022 pour former la police béninoise, montrant qu’il exporte son savoir-faire sécuritaire intra-africain, ou encore l’accord migratoire avec le Royaume-Uni (controversé) pour accueillir des demandeurs d’asile en échange de fonds – illustrant son ambition d’être un acteur diplomatique agile. L’idéologie « African solutions » qu’il promeut, s’il peut y avoir du pragmatisme intéressé derrière, contribue à une plus grande solidarité interafricaine (ex : en 2020, quand l’Afrique du Sud faisait face à des violences xénophobes, Kagame a publiquement appelé les Africains à s’unir plutôt que de se déchirer).

En conclusion, l’expérience rwandaise montre comment une idéologie d’unité nationale intransigeante couplée à un agenda de développement volontariste peut relever un pays de l’abîme. Le Rwanda d’aujourd’hui se veut la preuve qu’avec de la discipline, de la dignité et une vision, un peuple peut surmonter le pire et avancer vers la prospérité – ce qui fait écho à la philosophie d’Ubuntu (solidarité humaine) et au panafricanisme d’entraide. Reste à savoir si ce modèle est pleinement durable et transposable, car il repose beaucoup sur un leadership fort. Quoi qu’il en soit, l’idéologie rwandaise a déjà eu un impact : redonner à un peuple meurtri la confiance en lui (Agaciro) et à l’Afrique un exemple d’affirmation souveraine réussie sur certains plans.

 

Vers un panafricanisme 2.0 et la renaissance par l’Ubuntu : quelle voie pour l’Afrique ?

 

Les études de cas du Ghana et du Rwanda démontrent qu’une idéologie commune positive peut jouer un rôle catalyseur dans la reconstruction et le développement d’un pays. Elles s’inscrivent dans une mouvance plus large qu’on pourrait qualifier de panafricanisme 2.0, c’est-à-dire une renaissance du panafricanisme à l’ère du numérique et de la mondialisation, portée par les jeunes, la société civile et une partie des élites africaines conscientes des limites des schémas passés. Ce panafricanisme 2.0 se caractérise par plusieurs traits : il est décomplexé et assertif, prônant la fin des arrangements néocoloniaux (par exemple la fronde contre le franc CFA ou contre les bases étrangères), il utilise les outils modernes (réseaux sociaux, médias en ligne) pour diffuser ses idées et mobiliser au-delà des frontières, et il se concentre sur des objectifs concrets comme la souveraineté économique, la valorisation de la culture africaine et la justice sociale pour les Africains du continent et de la diaspora.

Un acteur emblématique de ce mouvement est par exemple le militant béninois Kémi Séba, qui incarne ce panafricanisme 2.0. Avec son ONG Urgences Panafricanistes, il mène des campagnes populaires contre le franc CFA, dénoncé comme un vestige colonial, et plus largement contre « l’exploitation des richesses africaines au détriment des Africains » et pour « le respect de l’Homme noir ». Son discours, très suivi par la jeunesse sur les réseaux sociaux, fustige autant l’ancienne métropole – « la France […] qui maintient le FCFA pour ses intérêts » – que les « élites africaines complices » qui perpétuent selon lui ce « concubinage incestueux avec l’Occident ». Ce ton direct et décomplexé, partagé par d’autres activistes (artistes engagés, intellectuels, mouvements citoyens comme “Le Balai Citoyen” au Burkina Faso ou “Y’en a marre” au Sénégal), rallie de nombreux jeunes Africains autour d’une cause commune : la seconde libération de l’Afrique, cette fois sur le plan économique et mental. Grâce aux outils modernes (YouTube, Facebook, podcasts…), le message panafricaniste circule hors des canaux officiels et échappe aux censures étatiques. On parle de « panafricanisme 2.0 » justement parce que la bataille se déroule aussi en ligne, par des pétitions, des hashtags de solidarité panafricaine (ex: #EndFrenchColonialTax contre le franc CFA) et une conscientisation de masse.

Ce panafricanisme nouvelle génération se concentre sur des objectifs très concrets, en phase avec les aspirations populaires : souveraineté monétaire et financière (création de monnaies africaines autonomes, refus des accords léonins avec le FMI), contrôle des ressources naturelles (renégociation des contrats miniers et pétroliers pour stopper le « pillage » évoqué par Kémi Séba), promotion de l’industrialisation locale et de la consommation de produits africains, et unité politique face aux ingérences extérieures (qu’elles soient occidentales ou d’autres puissances émergentes). Il s’agit de réaliser enfin la vision de leaders comme Nkrumah ou Sankara, mais dans un contexte mondialisé différent, avec les Africains eux-mêmes aux commandes par le bas. Cette mouvance bénéficie aussi de l’appui d’une diaspora africaine mieux outillée : on voit des Afro-descendants des Amériques ou d’Europe s’impliquer dans des projets au pays ancestral, ou des descendants d’immigrés en Occident (par exemple des jeunes entrepreneurs de la diaspora formés à l’étranger) revenir investir en Afrique, mus par une fierté identitaire retrouvée. Le succès du “Year of Return” ghanéen en 2019 a prouvé l’envie de reconnection diaspora-continent : au-delà du tourisme, il a débouché sur des retours permanents d’Afro-descendants et des investissements, renforçant de fait la souveraineté africaine par le biais de ressources humaines et financières autonomes.

Parallèlement, la philosophie d’Ubuntu – concept d’éthique communautaire venu d’Afrique australe, souvent traduit par « Je suis parce que nous sommes » – connaît un regain d’intérêt en Afrique subsaharienne. Ubuntu promeut l’idée que notre humanité se construit à travers celle des autres : *« dans notre vision africaine du monde, une personne est une personne par les autres personnes. Mon humanité est inextricablement liée à la vôtre : quand votre humanité est enrichie, la mienne l’est aussi. De même, si vous êtes rabaissé ou déshumanisé, je le suis également »*. Popularisée par Desmond Tutu et Nelson Mandela durant la transition post-apartheid en Afrique du Sud, cette notion d’interdépendance et de solidarité collective connaît un écho bien au-delà. Elle est enseignée dans les écoles de leadership africaines, mise en avant dans les programmes de réconciliation (comme au Rwanda où l’ubumuntu, équivalent local, est célébré chaque année au festival Ubumuntu Arts réunissant des artistes de tout le continent autour du thème de l’humanité partagée).

On peut voir dans l’Ubuntu le socle philosophique d’un enseignement idéologique commun africain. En effet, si les systèmes éducatifs du continent – sans renier leurs spécificités nationales – intègrent davantage ces valeurs panafricaines et communautaires, les bénéfices potentiels seraient multiples. Renforcer la souveraineté africaine passe d’abord par forger chez les jeunes générations un sentiment d’appartenance non seulement à leur pays, mais aussi à une civilisation africaine unie par un destin commun. Cela réduirait l’impact des divisions artificielles héritées de la colonisation (frontières tracées à Berlin, oppositions ethniques attisées par le passé) et immuniserait en partie contre les tentatives de « diviser pour mieux régner » de puissances extérieures. Un Africain convaincu que sa dignité est liée à celle de son voisin aura à cœur de défendre la souveraineté de son pays et de ses voisins, plutôt que de servir d’instrument à des intérêts étrangers. On l’a vu avec la jeunesse malienne ou burkinabè, qui – formée dans un contexte post-colonial conscient – a soutenu l’affirmation de ses dirigeants face à l’ancienne puissance tutélaire. À l’échelle continentale, une conscience panafricaine plus vive favoriserait l’intégration régionale : les projets comme la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) ou la liberté de circulation gagneront en acceptation et en efficacité si les populations les perçoivent non comme des injonctions technocratiques, mais comme l’aboutissement naturel d’une fraternité africaine. Agenda 2063 de l’Union africaine l’a bien compris, qui inscrit parmi ses Aspirations l’idéal d’un continent politiquement uni fondé sur les idéaux panafricanistes et d’une Afrique dotée d’*« une forte identité culturelle, d’un patrimoine commun, de valeurs et d’éthique partagées »*. Un enseignement commun des figures historiques panafricaines, des langues véhiculaires africaines (swahili, peul, arabe, etc.), et des principes d’Ubuntu viendrait concrétiser ces aspirations en rapprochant les curriculums scolaires et en créant un sentiment d’appartenance élargi chez les futurs citoyens.

Sur le plan du développement endogène, une telle idéologie partagée pourrait avoir un impact profond. D’une part, le panafricanisme 2.0 insiste sur la valorisation des savoirs locaux et la coopération sud-sud. Si chaque pays incorpore dans sa formation le récit des réussites africaines (plutôt que de ne mettre en avant que les modèles occidentaux), les jeunes entrepreneurs seront plus enclins à innover en s’inspirant de solutions africaines adaptées. On voit déjà émerger des écosystèmes technologiques made in Africa qui se nourrissent mutuellement (les fintech nigérianes, les startups kenyanes, les ingénieurs en télécoms formés au Ghana ou en Égypte, etc.). Dans un climat d’intégration, ces innovateurs pourraient circuler librement, créant un marché africain de l’innovation au lieu de s’expatrier systématiquement hors d’Afrique. D’autre part, la valeur d’Ubuntu – le souci du bien commun – peut encourager des politiques de développement plus inclusives. Par exemple, au lieu d’une course effrénée à l’extraction des ressources profitant à quelques-uns, les dirigeants imprégnés d’éthique Ubuntu chercheront davantage à ce que la communauté entière en bénéficie (fonds souverains pour l’éducation, projets régionaux partagés). On constate que les pays qui mettent l’accent sur la cohésion sociale (Rwanda, Ghana, Botswana…) ont eu tendance à mieux utiliser l’aide et leurs ressources que ceux minés par les divisions. À l’échelle régionale, l’Ubuntu pourrait se traduire par une solidarité accrue entre États africains en cas de coup dur : fonds africain d’urgence pour répondre aux catastrophes, envoi de médecins ou de casques verts africains chez un voisin en crise, etc., plutôt que d’attendre systématiquement l’aide extérieure. Cette solidarité s’est vue par exemple lors de la pandémie de COVID-19, où l’UA a mis en place une task-force africaine d’achat commun de vaccins (AVAT) – ce réflexe panafricain est à consolider pour d’autres défis (changement climatique, sécurité alimentaire).

Enfin, un enseignement idéologique panafricain commun pourrait contribuer à désamorcer les tensions identitaires internes en proposant une identité de substitution englobante. Un jeune Kenyan ou Ivoirien qui, dès l’école, aura appris la fraternité avec les autres ethnies de son pays et au-delà, sera moins réceptif aux discours xénophobes ou aux replis communautaires. On peut imaginer à terme des programmes d’échanges intra-africains massifs (sur le modèle Erasmus en Europe) où des étudiants d’Afrique de l’Ouest iraient passer un semestre en Afrique australe, des apprentis d’Afrique du Nord en Afrique subsaharienne, etc., afin de concrétiser cette unité dans les esprits. De telles initiatives, déjà encouragées par l’UA, forgeraient une génération véritablement africaine, pour qui épouser une vision continentale coulerait de source.

En conclusion, à l’image de la devise ghanéenne « L’unité fait la force », le continent africain semble à l’aube d’une renaissance idéologique. En tirant les leçons des dispositifs des grandes puissances et en s’appuyant sur ses propres philosophies humanistes (Ubuntu) et ses idéaux émancipateurs (panafricanisme), l’Afrique dispose des outils pour écrire un récit commun mobilisateur. Un enseignement panafricain commun, diffusant les valeurs d’unité, de dignité et de communauté de destin, pourrait cultiver une nouvelle génération de leaders et de citoyens conscients que la souveraineté de chaque nation africaine est renforcée par la souveraineté du continent dans son ensemble. Comme l’affirmait Kwame Nkrumah dès 1963, « l’Afrique doit s’unir » – aujourd’hui, cette unité passe aussi par l’union des esprits et des cœurs autour d’une idéologie panafricaine 2.0 adaptée aux réalités du XXI^e siècle. C’est en éduquant ensemble les enfants d’Afrique à se connaître, s’estimer et coopérer que le rêve africain d’une intégration réussie et d’un développement autocentré pourra devenir une réalité tangible d’ici 2063, horizon symbolique du jubilé de l’unité africaine. Et ce rêve, nourri d’Ubuntu, aura alors toutes les chances d’inspirer le monde, tout comme le Rêve américain ou le monde chinois ont pu le faire en leur temps, mais à la manière proprement africaine – humaniste, solidaire et fière de ses valeurs.

 

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